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Syndrome de Stress post traumatique : Dissociation

Mémoire traumatique, dissociation, sidération, mais qu’est-ce donc ?

MALTRAITANCES INFANTILES, MEMOIRE TRAUMATIQUE  par Muriel SALMONA, Psychotraumatologie DUNOD 2020  

Synthèse enregistrée par Armelle OLIVIER psychologue Pleurtuit et Rennes  pour être diffusé transmis 

1 Les mécanismes psychotraumatiques 

Les violences aboutissent à la constitution d’une mémoire traumatique de  l’événement, symptôme central du psycho-traumatisme. Cette mémoire est différente  de la mémoire autobiographique normale, il s’agit d’une mémoire non intégrée et  piégée dans certaines structures du cerveau. Les mécanismes à l’origine de cette  mémoire traumatique sont assimilables à des mécanismes exceptionnels de  sauvegarde, qui sont déclenchés par le cerveau pour échapper au risque vital que fait  courir une réponse émotionnelle extrême face à un trauma.  

2 La sidération psychique  

Les violences sexuelles sont terrorisantes et incompréhensibles pour les  enfants, elles créent une effraction psychique qui provoque un état de sidération. Les enfants se retrouvent paralysés psychiquement et physiquement, pétrifiés, dans  l’incapacité de réagir, de crier, de se défendre ou de fuir. Cette sidération de  l’appareil psychique bloque toute représentation mentale et empêche toute possibilité  de contrôle de la réponse émotionnelle majeure, qui a été déclenchée par une  structure cérébrale sous-corticale archaïque de survie : l’amygdale cérébrale. La  sidération est d’autant plus importante que l’enfant est jeune et dans l’incapacité de  comprendre ce qui se passe.  

L’amygdale cérébrale s’apparente à une alarme, qui s’allume automatiquement  lors de toute situation de menace (la menace peut être visuelle, auditive, sensitive,  émotionnelle), avant même que celle-ci soit identifiée et comprise par les fonctions  supérieures ; cette alarme a pour fonction d’alerter et de préparer l’organisme pour  qu’il réponde à un danger, lui faire face ou le fuir. Elle peut s’activer chez le foetus  dès le troisième trimestre de la grossesse, chez le nouveau-né dès la naissance ; elle  s’active même si la victime n’a pas les capacités de comprendre intellectuellement ce  qui lui arrive (enfants très jeunes, enfants avec de lourds handicaps mentaux, enfants  n’étant pas conscients : endormis, drogués). Cela signifie que le danger d’une  situation, l’intentionnalité de nuire d’un agresseur vont être perçues par l’amygdale  cérébrale indépendamment de sa mise en scène qui, elle, peut tromper les fonctions  supérieures de la victime (ses capacités d’analyse, de compréhension et de  mémorisation).  

L’amygdale cérébrale déclenche une réponse émotionnelle avec une  hypervigilance et la production d’hormones de stress : adrénaline et Cortisol qui  fournissent l’organisme en « carburant » (oxygène et glucose). Comme toute alarme,  par sécurité, elle ne s’éteint pas spontanément, seul le cortex cérébral et  l’hippocampe (le système d’exploitation de la mémoire, des apprentissage et du repérage temporo-spatial) peuvent la moduler ou l’éteindre grâce à des  représentations mentales et l’expérience de situations analogues (intégration, analyse  et compréhension de la situation et prise de décisions).  

Disjonction du circuit émotionnel  

Lors de violences, la sidération fait que le cortex paralysé est dans l’incapacité de  moduler l’alarme qui continue donc à « hurler » et à produire une grande quantité  d’hormones de stress. L’organisme se retrouve en état de stress extrême, avec  rapidement des taux toxiques d’hormones de stress, qui représentent un risque vital  cardiovasculaire (adrénaline) et neurologique (le cortisol est neurotoxique). Pour  échapper à ce risque vital, comme dans un circuit électrique en survoltage qui  disjoncte pour protéger les appareils électriques, le cerveau fait disjoncter le  circuit émotionnel à l’aide de neuro-transmetteurs qui sont des « drogues dures »  anesthésiantes et dissociantes (morphine-like et kétamine-like, des endorphines et  des antagonistes des récepteurs de la NDMA).  

Dissociation et mémoire traumatique  

Cette disjonction, en isolant l’amygdale cérébrale, éteint la réponse  émotionnelle et fait disparaître le risque vital en créant un état d’anesthésies  émotionnelle et physique. L’amygdale reste allumée tant que le danger persiste mais  elle est isolée du reste du cerveau. Cette disjonction est à l’origine d’une dissociation  traumatique, un trouble de la conscience lié à la déconnection avec le cortex, qui  entraîne une sensation d’irréalité, d’étrangeté, d’absence, et qui donne à l’enfant  l’impression d’être spectateur des événements, de regarder un film. Mais cette  disjonction isole également l’amygdale cérébrale de l’hippocampe (autre structure  cérébrale, sorte de logiciel, qui gère la mémoire et le repérage temporo-spatial ; sans  elle, aucun souvenir ne peut être mémorisé, ni remémoré, ni temporalisé)L’hippocampe ne peut pas faire son travail d’encodage et de stockage de la  mémoire sensorielle et émotionnelle des violences, celle-ci reste piégée dans  l’amygdale sans être traitée, ni transformée en mémoire autobiographique. Elle va  rester hors temps, non-consciente, à l’identique, susceptible d’envahir le champ de la  conscience et de faire revivre la scène violente de façon hallucinatoire, comme une  machine à remonter le temps, avec les mêmes sensations, les mêmes douleurs, les  mêmes phrases entendues, les mêmes odeurs, les mêmes sentiments de détresse et  de terreur (ce sont les flashbacks, les réminiscences, les cauchemars, les attaques de  panique…). C’est cette mémoire piégée dans l’amygdale qui n’est pas devenue  autobiographique qu’on appelle la mémoire traumatique.  

La disjonction se produit d’autant plus rapidement que la sidération est importante  ou que les fonctions supérieures sont désactivées ou immatures (enfants très jeunes,  endormis, drogués, avec des handicaps mentaux ou sensoriels). Le traumatisme sera  alors d’autant plus massif. 

Syndrome de Stress post traumatique : Dissociation

2 Dissociation traumatique  

L’enfant se retrouve alors déconnecté de ses émotions et du stress. Subitement, il  bascule dans une situation où tout lui paraît irréel, extérieur à lui-même, comme s’il  était spectateur des événements : il est anesthésié émotionnellement et  physiquement, et semble tout supporter. Cette dissociation traumatique perdure chez  l’enfant tant qu’il est confronté aux personnes qui lui font subir des violences, ou au  contexte, ou à une profonde incompréhension de ce qu’il vécu.  

Pendant la dissociation, l’amygdale et la mémoire traumatique qu’elle contient  est déconnectée, et la victime n’aura pas accès émotionnellement et  sensoriellement aux événements traumatiques. Cet état dissociatif anesthésié et  empêche la victime d’identifier et de prendre la mesure des violences qu’elle subit ou  qu’elle a subies. Les faits les plus graves lui semblent tellement irréels qu’ils perdent  toute consistance, comme s’ils n’existaient pas vraiment. Suivant l’intensité de la  dissociation, la victime pourra être comme amnésique de tout ou partie des  événements traumatisants, seules resteront quelques images très parcellaires,  des bribes d’émotions envahissantes ou certains détails isolés. Cette amnésie  traumatique est fréquente chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance  (près de 60 % des enfants victimes présentent des amnésies partielles des faits et  40 % des amnésies totales (Brière, 1993, Williams, 1995, Widom, 1996, IVSEA, 2015).  Ce phénomène peut perdurer de nombreuses années, voire des décennies.  

La victime dissociée reste donc comme indifférente non seulement aux violences  qu’elle continue à subir, mais également à la mémoire traumatique de celles qu’elle a  déjà subies. Cette mémoire traumatique s’active pourtant tout de suite après le  trauma dès qu’un lien, une situation, une sensation, une confrontation à l’agresseur  rappelle les événements traumatiques ; elle envahit le psychisme de la victime mais  elle ne va pas être accompagnée de ressentis émotionnels, ce qui la rend irréelle,  désincarnée, indistincte, perdue au milieu de toutes les représentations psychiques.  Les perceptions sensorielles et kinesthésiques de la mémoire traumatique (images,  odeurs, sons, sensations corporelles) sont déconnectées de leurs charges affective et  émotionnelle : détresse, terreur, dégoût… Les événements sont là, mais à distance,  comme dans un brouillard, ils ne s’imposent pas émotionnellement, ce qui entraîne  chez la victime une sorte d’indifférence face aux violences et une forme de tolérance  à la souffrance.  

Ce n’est pas pour autant que ces violences et ces réminiscences en sont moins  stressantes et traumatisantes, bien au contraire puisqu’il n’y a pas de réflexe  de défense et de protection (de même, lorsqu’on pose sa main anesthésiée sur  une plaque électrique, ce n’est pas parce qu’on ne ressent pas la douleur qu’on  ne va pas être gravement brûlé). 

La dissociation traumatique est une véritable hémorragie psychique, qui vide la  victime de tous ses désirs, et annihile sa volonté. La victime dissociée se sent perdue  avec un sentiment d’étrangeté, elle ne se reconnaît plus. Elle est privée de ses  émotions, déconnectée d’elle-même et du monde extérieur, dans l’incapacité de  penser ce qui se passe et d’y réagir de façon adaptée. Elle est sur mode automatique,  avec un sentiment d’absence au monde, d’être coupée d’elle-même et de son corps. La  victime est comme indifférente au danger et à la douleur. La dissociation enferme la  victime dans un espace mental hors temps, où l’avenir n’a pas de réalité.  

Cette dissociation rend très difficile, voire impossible, toute opposition ou  toute défense mentale et physique vis-à-vis de toutes les violences, qui sont  exercées contre elle : les paroles assassines, les coups, les humiliations ne  rencontrent aucune résistance. Cela rend la victime très vulnérable à l’agresseur,  qui peut exercer une emprise totale sur elle, coloniser son psychisme, la réduire en  esclavage, et lui faire subir en toute tranquillité tous les sévices qu’il veut exercer  comme si elle était un pantin, parfois pendant de longues années. L’agresseur peut la  soumettre physiquement, l’esclavagiser et la coloniser psychologiquement pour lui  faire faire et lui faire penser ce qu’il veut, et la formater pour qu’elle se ressente  comme coupable, nulle, sans valeur, sans droit, un objet à sa disposition.  

La dissociation est un facteur de risque majeur de re-victimisation et de mise  sous emprise (70 % des victimes de violences sexuelles subissent d’autres violences  sexuelles tout au long de leur vie, IVSEA, 2015). Les prédateurs vont cibler de  préférence une personne déjà dissociée par des violences précédemment subies, le  plus souvent dans l’enfance, ce qui leur garantit à la fois une impunité et la possibilité  d’exercer quasiment sans limite les pires sévices. Les personnes dissociées,  particulièrement les enfants, sont fréquemment perçues comme bizarres, ou bien  comme étant masochistes, ou comme ayant une pathologie mentale (psychose, troubles  autistiques,…).  

De plus, l’enfant dissocié est souvent considéré comme limité intellectuellement, «  bête », « débile », incapable de comprendre ce qui se passe et d’y réagir, et il sera en  butte à des moqueries, des humiliations et des maltraitances de la part de tous.  L’enfant sera donc à risque de subir des harcèlements et d’autres violences. Dans le  film Polisse, nous assistons à une scène de ce type avec la jeune adolescente qui a été  obligée de faire des fellations à plusieurs garçons pour récupérer son téléphone  portable. Elle semble si indifférente à la situation que les policiers se permettent de  lui faire la leçon et même de se moquer d’elle en lui posant la question : « Et si on  t’avait pris ton ordinateur portable, qu’est-ce que t’aurais fait ? » Et les policiers  d’éclater de rire, tout comme les spectateurs… Ils se moquent d’une victime  gravement traumatisée. 

Les victimes dissociées sont des proies de choix pour les prédateurs. La  confusion, la désorientation liées aux symptômes dissociatifs entraînent des troubles  cognitifs et des doutes continuels sur ce qui est perçu, entendu, sur ce qu’on a dit et  sur ce qu’on a compris, rendant la victime vulnérable, et la mettant en grande  difficulté pour défendre ses convictions et ses volontés. Déconnectées de leur cortex  frontal (siège de l’analyse intellectuelle et de la prise de décisions) et de leur  hippocampe (système d’exploitation qui gère leur mémoire et leurs apprentissages),  les victimes dissociées sont facilement influençables et « hypnotisables » ; il leur  est très difficile de dire non. Elles fonctionnent souvent sur un mode automatique,  préprogrammé. Elles n’ont aucune confiance en elles et elles se retrouvent bien  malgré elles à céder aux désirs d’autrui quand on fait pression sur elles. Plus  l’interlocuteur est dangereux, plus il réveillera chez la victime qu’il s’est choisie une  mémoire traumatique et une dissociation par des attitudes et des paroles déplacées  ou incongrues, par une mise en scène de domination, et la mettra dans un état  hypnoïde, qui la rendra incapable de penser, de se défendre, de s’opposer et de dire  non.

Cet état d’incapacité, les victimes le penseront dû à leur stupidité, à leur  infériorité ou à leur timidité maladive, alors qu’il est directement lié au  déclenchement de mécanismes de sauvegarde face au danger que représente  l’interlocuteur. Mécanismes qui pourraient être une bonne sonnette d’alarme, si les  victimes en étaient informées. Mais, au lieu de cela, cette situation de danger sera  interprétée à l’avantage de l’interlocuteur pervers. Ce dernier sera souvent perçu par  les victimes « hypnotisées » et par l’entourage comme quelqu’un de supérieur et  d’important, de beaucoup plus intelligent qu’elles, quelqu’un de fascinant, d’une autre  essence, quelqu’un dont elles pourraient même se croire « amoureuses » alors qu’il  n’en est rien et qu’elles sont juste terrorisées et sous emprise, du fait de ces  mécanismes de dissociation.  

Les victimes dissociées sont des proies de choix pour les proxénètes. Les  jeunes filles ayant subi des violences sexuelles dans l’enfance par des proches, avec  lesquels elles vivent le plus souvent, vont être gravement dissociées. Du fait de cette  dissociation, elles vont être recherchées par les proxénètes, et particulièrement  appréciées des clients, puisqu’elles vont pouvoir tolérer des situations de violences  sexuelles avec des pratiques douloureuses, humiliantes, et de graves atteintes à leurs  intégrités physique et psychique, et leur dignité sans avoir la capacité de s’y opposer  et de s’en révolter, en gardant même le sourire. On retrouve chez les personnes en  situation prostitutionnelle des antécédents de violences avec de multiples violences  exercées le plus souvent depuis la petite enfance : 59 % de maltraitance, de 55 % à  90 % d’agressions sexuelles dans l’enfance (étude de Melissa Farley en 2003 dans 9  pays et 854 personnes prostituées, ces pourcentages sont corroborés par de  nombreuses autres études) ; le taux d’antécédents de violences sexuelles retrouvés  chez les personnes prostituées est extrêmement important et le lien entre violences  sexuelles subies pendant l’enfance et entrée en prostitution est très significatif. 

Ainsi, l’enfant semblera indifférent aux violences qu’il subit, mais il n’en sera pas  moins traumatisé.  

Une victime dissociée court un grand risque de ne pas être repérée, ni  protégée. Alors que chacun a la capacité de percevoir de façon innée les émotions  d’autrui, grâce à des neurones miroirs, il n’y aura pas de ressenti émotionnel en face  d’une personne anesthésiée ; ce n’est qu’intellectuellement que la souffrance de  cette personne pourra être identifiée. Les proches et les professionnels, ne  comprenant pas cette dissociation, y réagiront par une absence d’empathie, une  minimisation des violences subies par l’enfant et de sa souffrance, une incrédulité,  voire une remise en question de sa parole et de la réalité des violences.  

Une victime dissociée court un grand risque de ne pas être crue, ni reconnue  par la justice. Les victimes dissociées ne vont pas avoir le comportement que l’on  attend d’elles. Elles seront dans un état de déconnection tel qu’elles ne pourront pas  parler, ni porter plainte, et ce parfois pendant des années si elles restent en contact  avec l’agresseur ou dans le contexte où ont eu lieu les violences. On leur reprochera  d’avoir attendu trop longtemps, et cela alimentera des doutes sur leur bonne foi.  

La dissociation traumatique va rendre le récit des victimes décousu, elles  auront continuellement des doutes sur ce qui s’est passé avec un sentiment  d’irréalité ; de nombreux épisodes seront frappés d’amnésie et, du fait de la  déconnection avec l’hippocampe, elles auront beaucoup de mal à se retrouver  dans les repérages temporo-spatiaux concernant les dates et les lieux où se sont  produites les violences. Plus leur interlocuteur sera incrédule ou agacé plus elles  seront dissociées et perdues.  

De même, les confrontations avec l’agresseur aggraveront leur dissociation et les  re-traumatiseront massivement ; elles perdront encore plus leur capacité, seront  envahies par un sentiment d’irréalité, se retrouveront facilement sous l’emprise de  l’agresseur et pourront remettre en cause ce qu’elles ont dit précédemment, voire  même se rétracter.

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Syndrome de stress post traumatique : la dissociation

3 La mémoire traumatique  

La mémoire traumatique se met en place dès la disjonction ; nous l’avons vu c’est  une mémoire émotionnelle des violences contenue dans l’amygdale cérébrale qui n’a  pas pu être traitée par l’hippocampe dont elle est déconnectée. L’hippocampe est  une structure cérébrale, qui intègre et transforme la mémoire émotionnelle en  une mémoire autobiographique, verbalisable.

Tel un logiciel, l’hippocampe est  indispensable pour stocker et aller rechercher les souvenirs et les apprentissages  et pour se repérer dans le temps et dans l’espace : avec la disjonction ces  fonctions seront gravement perturbées. 

La mémoire traumatique est donc une mémoire émotionnelle enkystée, une  mémoire « fantôme » hypersensible et incontrôlable, prête à « exploser » en  faisant revivre à l’identique, avec le même effroi et la même détresse, les  événements violents, les émotions et les sensations qui y sont rattachées, comme  une machine à remonter le temps. Elle « explose » aussitôt qu’une situation, un  affect ou une sensation rappelle les violences ou fait craindre qu’elles ne se  reproduisent. Elle sera comme une « bombe à retardement » susceptible d’exploser  souvent des mois, voire de nombreuses années, après les violences. Quand elle «  explose », elle envahit tout l’espace psychique de façon incontrôlable. Elle transforme  la vie psychique en un terrain miné. Telle une « boîte noire », elle contient non  seulement les vécus émotionnel, sensoriel et douloureux de la victime mais également  tout ce qui se rapporte aux faits de violences, à leur contexte et à l’agresseur (ses  mimiques, ses mises en scène, sa haine, son excitation, ses cris, ses paroles, son  odeur, etc.).  

Mais tant que les enfants victimes sont dissociés, cette explosion de la mémoire  traumatique se produira avec des émotions et des douleurs qui seront anesthésiées,  l’enfant victime semblera ne pas en souffrir et les tolérer ; en réalité, elles  aggraveront l’impact traumatique et rechargeront plus encore la mémoire  traumatique, telle une cocotte-minute.  

Quand les victimes sortiront de leur état dissociatif, la mémoire traumatique  sera alors ressentie sans le filtre de la dissociation et cela sera intolérable.  

Si la dissociation disparaît, ce qui peut se produire quand la victime est enfin  sécurisée et qu’elle n’est plus en permanence confrontée à des violences, à leur  contexte, ou à son agresseur, ou bien parce qu’elle sort de son état  d’incompréhension et de confusion en grandissant, en accédant à des informations, à  une thérapie ou en étant confrontée à un contexte sexuel, à une grossesse, ou à  d’autres violences. Alors, la mémoire traumatique s’impose avec un tel cortège  émotionnel que la gravité des violences et de leurs conséquences apparaît soudain à la  victime dans toute son horreur. La victime peut être confrontée à un véritable  tsunami d’émotions et d’images qui vont la terrifier ; elles vont déferler en elle,  accompagnées d’une grande souffrance et détresse, c’est une véritable torture. 

Cela peut entraîner un état de peur panique avec sentiment de mort imminente,  d’agitation, d’angoisse intolérable, de douleurs atroces, ainsi qu’un état confusionnel.  Ces symptômes sont si impressionnants que la victime peut se retrouver aux  urgences médicales ou chirurgicales (elle peut même être opérée en urgence) ou  bien être hospitalisée en psychiatrie (avec souvent un diagnostic erroné de  bouffée délirante ou d’entrée dans une schizophrénie) ; et cet état est  fréquemment accompagné d’un risque suicidaire très important, d’autant plus si la  victime a été confrontée à une intentionnalité meurtrière au moment des violences,  elle revit cette intentionnalité comme si elle émanait d’elle, dans une compulsion à se  tuer. 

C’est à ce moment-là que les victimes sortent de leur état de « pseudo  indifférence » et de leur amnésie traumatique dissociative et peuvent enfin avoir la  capacité de réaliser la gravité de ce qu’elles ont subi et de dénoncer les violences.  Cette sortie d’état dissociatif peut se produire plusieurs années après les violences,  voire plusieurs dizaines d’années après, alors que les faits sont prescrits.  

De nombreuses situations sont donc susceptibles de déclencher cette mémoire  traumatique : une date, une heure de la journée, un endroit, une situation ou des  détails (une odeur, un goût, un bruit, des sons, des paroles, des objets, des éléments  du décor, des couleurs, du sang), qui rappellent le contexte, un moment de stress ou  une peur, un examen médical, des douleurs, des cris, des sensations et des émotions  (qui rappellent celles ressenties lors des violences) ; revenir sur les lieux où ces  violences se sont produites, être confronté avec les personnes qui ont commis les  violences ou avec leurs complices, etc.  

La mémoire traumatique sera souvent responsable non seulement de sentiments  de terreur, de détresse, de mort imminente, de douleurs, de sensations  inexplicables, mais également de sentiments de honte et de culpabilité et d’une  estime de soi catastrophique, qui seront alimentés par la mémoire traumatique des  paroles de l’agresseur, de ses gestes et ses mises en scène, de sa haine et de son  mépris, et de son excitation perverse. Tout y est mélangé, sans identification, ni  tri ni contrôle possible. Au moment des violences, cette indifférenciation empêchera  la victime de faire une séparation entre ce qui vient d’elle et de l’agresseur, elle  pourra à la fois ressentir une terreur, qui est la sienne, associée à une excitation et  une jouissance perverses, qui sont celles de l’agresseur. De même, il lui sera  impossible de se défendre des phrases mensongères et assassines de l’agresseur : «  tu aimes ça », « c’est ce que tu veux », « c’est ce que tu mérites », elles  s’installeront telles quelles dans l’amygdale cérébrale. Après les violences, cette  mémoire traumatique y restera piégée.  

À titre d’exemple, un enfant, qui a subi des violences avant d’apprendre à parler,  pourra dix ans après, au moment où sa mémoire traumatique se manifestera, se  retrouver dans l’incapacité de parler, il ne pourra que pleurer ; de même, un enfant  ayant subi des violences sexuelles dans le noir, au moment où sa mémoire traumatique  se manifestera, ne verra plus rien ; un enfant attaché ne pourra pas bouger, un enfant  qu’on aura étranglé ou suffoqué par une pénétration orale, ne pourra plus respirer. De  surcroît, comme la mémoire traumatique porte non seulement sur les violences subies  mais aussi sur l’agresseur et ses paroles, l’enfant pourra entendre, plusieurs années  plus tard, des phrases prononcées par l’agresseur, telles que « tu ne vaux rien », « tu  es nul », « tu ne mérites pas de vivre », etc. Ce mécanisme explique pourquoi les  enfants se sentent aussi coupables et ont de telles atteintes à leur estime de soi, ils  sont en permanence colonisés par les agresseurs.

Cela explique également que, quand les enfants sont tout petits (avant 6-7 ans) et/ ou quand ils sont très dissociés, privés de leurs émotions et qu’ils n’ont pas encore de  représentations suffisantes de ce qui est interdit, ils peuvent, lors d’un allumage de  leur mémoire traumatique, rejouer les scènes de violences sexuelles, qui les  envahissent, du côté victimes comme du côté agresseur, et avoir des  comportements sexuels inappropriés en public : se déshabiller, exposer leur sexe, se  masturber, se mettre des objets dans le sexe, toucher le sexe d’adulte, se frotter,  tenir des propos hypersexualisés, injurieux, voire agresser sexuellement d’autres  enfants. Ces troubles du comportement doivent immédiatement alerter, ils signent un  trauma sexuel.  

Il faut rappeler qu’un foetus, un nouveau-né, un nourrisson traumatisé, un enfant  non conscient des faits de violences car endormi, drogué, trop petit ou trop handicapé  intellectuellement pour comprendre, peut développer une mémoire traumatique, même  s’il ne lui est pas possible de se souvenir de façon autobiographique des violences  (l’hippocampe n’étant fonctionnel pour la mémoire autobiographique qu’à partir de  2-3 ans).  

Au final, la mémoire traumatique transforme la vie en un espace miné, c’est une  véritable torture. On ne peut pas vivre avec une mémoire traumatique. Si sa  mémoire traumatique n’est pas soignée, l’enfant est condamné à mettre en place  des stratégies de survie nécessaires mais qui seront très handicapantes et qui lui  seront souvent reprochées.  

Soit l’enfant est dissocié et ne ressent plus cette mémoire traumatique s’il subit  continuellement des violences, ou s’il reste en contact avec l’agresseur et le contexte  des violences. Soit l’enfant est sécurisé, par exemple à l’école ou bien plus tard quand  il ne sera plus du tout en contact avec le système agresseur, et il est alors envahi par  sa mémoire traumatique. Dans le contexte de l’école : celle-ci peut s’exprimer par  des attaques de paniques, une grande détresse, mais également par une violence dans  ses propos et dans ses actes (quand il est envahi par la violence de l’agresseur).  

4 Les stratégies de survie mises en place par les enfants traumatisés  

Quand les victimes sont abandonnées sans protection, ni solidarité, ni soutien (ce  qui est le cas pour 83 % des victimes, enquête IVSEA, 2015), elles sont condamnées à  mettre en place des stratégies de survie handicapantes et épuisantes.  

Pendant les violences et tant que l’enfant est exposé à l’agresseur, trois  mécanismes principaux sont mis en place pour y survivre :  

 La fuite : quand elle est possible et c’est rare, elle représente souvent un grand  danger pour l’enfant. Une fugue chez un enfant ou un départ précoce du milieu  familial chez un adolescent doivent toujours faire rechercher des violences qui  pourraient en être à l’origine ; 

un mécanisme d’adaptation : pour éviter la survenue de violences et le risque de  rejet et d’abandon, les enfants s’hyperadaptent à leurs agresseurs et, pour cela,  ils s’identifient à eux, ils apprennent à percevoir et à anticiper leurs moindres  changements d’humeur. Ils deviennent de véritables scanners, capables de décrypter  et d’anticiper les besoins de leurs bourreaux. Il est essentiel que ceux-ci ne soient  jamais contrariés, énervés ni frustrés, il faut donc les connaître parfaitement, être  en permanence attentifs à ce qu’ils font, à ce qu’ils pensent. Ce phénomène peut  donner l’impression aux enfants d’être très attachés à leurs bourreaux puisque ces  derniers prennent toute la place dans leur tête (syndrome de Stockholm). Les enfants  peuvent croire que leurs agresseurs comptent plus que tout pour eux (c’est ce que  leur rappelle sans cesse l’agresseur : « je suis tout pour toi, sans moi tu n’es rien… »)  et penser que ce qu’ils ressentent est un sentiment amoureux alors que c’est une  réaction d’adaptation à une situation de mise sous terreur ;  

Un mécanisme neuro-biologique de protection : mis en place par le cerveau face au  stress extrême et à des situations intolérables, qui s’enclenche automatiquement : la dissociation traumatique. Tant qu’il y a danger (tant que les violences perdurent),  tant que le risque qu’il se reproduise persiste (tant que la victime est en contact avec  l’agresseur ou avec le contexte des violences), tant que le danger n’a pas été identifié  (tant que la victime n’a pas réalisé ce qui s’est passé parce qu’elle était très petite,  non consciente au moment des violences : droguée, alcoolisée, endormie, manipulée),  l’amygdale cérébrale reste allumée au maximum en permanence, ce qui fait disjoncter  en permanence le circuit émotionnel pour protéger les organes vitaux que sont le  cerveau et le coeur, et entraîne en permanence une dissociation traumatique chez les  victimes. Les enfants sont alors déconnectés de leurs émotions, avec une anesthésié  émotionnelle et un seuil de douleur très augmenté. Ils se retrouvent à fonctionner sur  un mode automatique, comme robotisés, détachés d’eux-mêmes, comme s’ils étaient  spectateurs.  

Cela entraîne une pseudo-tolérance à l’intolérable : « même pas mal ! ». Tant que  dure cette dissociation, la situation paraît irréelle et il est très difficile pour les  enfants d’arriver à identifier la gravité des violences qu’ils subissent. De plus cette  dissociation traumatique fera que face aux agresseurs ou à toute autre personne, les  enfants paraîtront indifférents à leur sort, inertes, puisqu’ils seront coupés de leurs  émotions. Grâce à cette dissociation, les agresseurs ne sont pas gênés par des signaux  de détresse trop importants de leurs victimes ; c’est très dangereux pour les enfants  car les actes violents pourront devenir de plus en plus extrêmes, sans qu’ils puissent y  réagir (en revanche, l’anesthésie émotionnelle ne les empêchera pas d’être encore  plus traumatisés). De même, les proches ne détecteront pas facilement la détresse et  la souffrance des enfants et passeront d’autant plus à côté. Enfin, cette dissociation  est, comme nous l’avons vu, un facteur de risque important d’être maltraité, de  devenir le souffre-douleur de tout le monde.  

Après les violences, quand les enfants ne sont plus confrontés à l’agresseur, et  qu’ils sont en mesure de comprendre, les enfants sortent de leur état dissociatif  permanent, mais nous l’avons vu la mémoire traumatique prend le relais et ils  continuent d’être colonisés par les violences et l’agresseur aussitôt qu’un lien les leur rappelle (lieu, situation, sensation, émotion,…). Et c’est soudain insupportable et cela  peut donner l’impression de sombrer dans la folie, c’est souvent vécu par les victimes  comme pire que l’état de dissociation antérieur et, si elles n’ont pas d’explications  sur les mécanismes qui en sont la cause, elles peuvent être tentées de retourner voir  l’agresseur ou de reprendre contact avec le contexte violent (comme la famille  incestueuse, la prostitution ou les fréquentations dangereuses). Les victimes  traumatisées doivent alors essayer d’éviter à tout prix cette mémoire traumatique  hyper anxiogène et douloureuse ; pour cela deux stratégies sont possibles :  

L’enfant, pour éviter les déclenchements effrayants de sa mémoire traumatique, va  mettre en place des conduites de contrôle et d’évitement vis-à-vis de tout ce qui est  susceptible de la faire « exploser » (avec des angoisses de séparation, des  comportements régressifs, un retrait intellectuel, des phobies et des troubles  obsessionnels compulsifs, comme des lavages répétés ou des vérifications incessantes,  une intolérance au stress) ; il va fréquemment se créer un petit monde sécurisé  parallèle où il se sentira en sécurité, qui peut être un monde physique (comme sa  chambre, entouré d’objets, de peluches ou d’animaux qui le rassure) ou mental  (un monde parallèle où il se réfugie continuellement). Tout changement sera perçu  comme menaçant car mettant en péril les repères mis en place et il adoptera des  conduites d’hyper-vigilance (avec une sensation de peur et de danger permanent, un  état d’alerte, une hyperactivité, une irritabilité et des troubles de l’attention). Ces  conduites d’évitement et d’hypervigilance sont épuisantes et envahissantes, elles  entraînent des troubles cognitifs (troubles de l’attention, de la concentration et de la  mémoire), qui ont souvent un impact négatif sur la scolarité et les apprentissages.  

Mais les enfants traumatisés sont souvent contrecarrés dans leurs conduites  d’évitement et de contrôle par un monde adulte, qui ne comprend rien à ce qu’ils  ressentent. Ils doivent s’autonomiser et s’exposer à ce qui leur fait le plus peur,  comme être séparé d’un parent ou d’un adulte protecteur, dormir seul dans le noir,  être confronté à son agresseur ou à quelqu’un qui lui ressemble, à des situations  nouvelles et inconnues, etc. Quand un enfant n’est pas sécurisé et n’a pas la  possibilité de mettre en place des conduites d’évitement efficaces, sa mémoire  traumatique va exploser fréquemment, ce qui le plonge à chaque fois dans une grande  détresse jusqu’à ce qu’il se dissocie par disjonction ; mais du fait d’une accoutumance  aux drogues dissociantes sécrétées par le cerveau, le circuit émotionnel va de moins  en moins pouvoir disjoncter, ce qui engendre une détresse encore plus intolérable qui  ne pourra être calmée ou prévenue que par des conduites à risque dissociantes.  

Ces conduites à risque dissociantes, dont l’enfant et l’adolescent expérimentent  rapidement l’efficacité, servent à provoquer « à tout prix » une disjonction pour  éteindre de force la réponse émotionnelle en l’anesthésiant et calmer ainsi l’état de  tension intolérable ou prévenir sa survenue. Cette disjonction provoquée peut se faire  de deux façons, soit en provoquant un stress très élevé, qui augmentera la quantité de  drogues dissociantes sécrétées par l’organisme, soit en consommant des drogues  dissociantes (alcool, stupéfiants). 

Ces conduites à risques dissociantes sont des conduites auto-agressives (se  frapper, se mordre, se brûler, se scarifier, tenter de se suicider), des mises en  danger (conduites routières dangereuses, jeux dangereux, sports extrêmes, conduites  sexuelles à risques, situations prostitutionnelles, fugues, fréquentations  dangereuses), des conduites addictives (consommation d’alcool, de drogues, de  médicaments, troubles alimentaires, jeux addictifs), des conduites délinquantes et  violentes contre autrui (l’autre servant alors de fusible grâce à l’imposition d’un  rapport de force pour disjoncter et s’anesthésier).  

Les conduites à risques sont donc des mises en danger délibérées. Elles consistent  en une recherche active, voire compulsive, de situations, de comportements ou  d’usages de produits connus comme pouvant être dangereux à court ou à moyen  terme. Le risque est recherché pour son pouvoir dissociant direct (alcool, drogues) ou  par le stress extrême qu’il entraîne (jeux dangereux, scarifications…), et sa capacité  à déclencher la disjonction de sauvegarde, qui va déconnecter les réponses  émotionnelles et donc créer une anesthésié émotionnelle et un état dissociatif.  

Mais elles rechargent aussi la mémoire traumatique, la rendant toujours plus  explosive, et rendant les conduites dissociantes toujours plus nécessaires, créant une  véritable addiction aux mises en danger et/ou à la violence. Ces conduites dissociantes  sont incompréhensibles et paraissent paradoxales à tout le monde (à la victime, à ses  proches, aux professionnels). Elles sont chez les victimes à l’origine de sentiments de  culpabilité et d’une grande solitude, qui les rendent encore plus vulnérables.  

Elles peuvent entraîner un état dissociatif permanent comme lors des violences avec  la mise en place d’un détachement et d’une indifférence apparente qui les mettent en  danger d’être encore moins secourues et d’être ignorées et maltraitées.  

Ces conduites à risque dissociantes servent à provoquer « à tout prix » une  disjonction pour éteindre de force la réponse émotionnelle en l’anesthésiant. Il  faut comprendre qu’un enfant traumatisé trouvera préférable de se scarifier ou  de se mettre en danger pour s’anesthésier, plutôt que de revivre les violences  extrêmes qu’il a subies. Ce comportement paraît incompréhensible, mais il est au  contraire très logique. Il est d’ailleurs très important que les enfants puissent  accéder à cette logique, puissent comprendre les mécanismes en jeu, car dans le cas  contraire ils ont l’impression qu’ils sont bizarres, différents des autres, incapables  d’être comme les autres. Les enfants doivent être informés des conséquences  psychotraumatiques afin qu’ils puissent comprendre ce qu’ils ressentent et donc  mieux gérer et désamorcer leur mémoire traumatique et se rassurer quant à leur  « normalité ». 

Du fait de ces stratégies de survie, une victime de violences sexuelle dans  l’enfance peut, à l’adolescence et à l’âge adulte, osciller entre :  

Une impossibilité ou une très grande difficulté d’avoir une vie sexuelle avec une  personne qu’elle aime, la plupart des gestes et les fonctions sensorielles (tactiles,  olfactives) d’un acte sexuel entraînant des réminiscences traumatiques les  rendant insupportables ou très angoissants, générant des sensations de rejet et  de dégoût impossibles à surmonter, des douleurs intolérables (douleurs pelviennes,  dyspareunies, vaginismes, cystites, douleurs lombaires, mais également en cas de  violences sexuelles, celles concernant la sphère buccale, des contractures très  douloureuses de la mâchoire, des nausées incoercitives, des vomissements), à tel point  qu’un rapport sexuel ne sera possible qu’en étant dissocié (drogué, alcoolisé ou après  s’être stressé par des images mentales violentes) ; elle peut également éviter tout  examen gynécologique, anal, stomatologique ou dentaire ;  

et, lors de situations de grand mal-être, des conduites à risques sexuelles, avec des  rencontres avec des inconnus sans protection, avec des actes sexuels violents (auto-agressifs ou dans le cadre de pratiques « sadomasochistes »), des mises en  danger sur Internet ou avec des personnes manifestement perverses, des auto agressions avec des masturbations compulsives violentes, des blessures sexuelles  infligées, des scarifications, voire même des pratiques prostitutionnelles, pour se  dissocier. 

De plus, l’état dissociatif quasi permanent dans lequel se retrouvent les  victimes leur donne la douloureuse impression de n’être pas elles-mêmes, d’avoir  un faux-self, comme dans une mise en scène permanente. L’anesthésié émotionnelle  les oblige à « jouer » des émotions dans les relations avec les autres, avec le risque de  n’être pas tout en fait en phase, de sur ou sous-jouer.  

Sortir du déni, protéger et soigner les enfants victimes de violences : une  urgence de santé publique  

Par ailleurs, il est évident que c’est bien parce que les enfants n’ont pas été  protégés, ni reconnus (pour rappel, 83 % d’entre eux selon notre enquête), ont été  abandonnés sans soins appropriés qu’ils doivent composer avec une mémoire  traumatique redoutable qui les oblige à s’auto-censurer sans cesse, à vivre dans une  guerre permanente. Leur mémoire traumatique aurait dû être traitée et transformée  en mémoire autobiographique, ce qui les aurait libérés de la torture que représentent  des violences et des agresseurs continuellement présents en soi.  

La grande majorité des enfants n’ont pas pu parler des violences subies avant des  années, voire des dizaines d’années. À la question du questionnaire d’auto-évaluation  de l’impact et de la prise en charge des victimes de violences sexuelles que notre  association a mis en ligne « Pourquoi vous n’avez pas pu en parler », les réponses sont  par ordre de fréquence (sur plus de 1 200 réponses) : 

  • la difficulté à mettre des mots sur ce qui s’est passé et à l’identifier,  le sentiment de culpabilité (« je pensais que c’était de ma faute »),  la peur de ne pas être cru (ou crue),  
  • l’impossibilité d’en parler du fait de la souffrance que cela réactive,  la peur des menaces de l’agresseur,  
  • l’amnésie traumatique et la dissociation,  
  • la peur des réactions de l’interlocuteur.  

Il faut aider les victimes à parler ; pour cela il faut communiquer sur la réalité des  violences sexuelles et sur leurs conséquences, les informer sur la loi, les droits des  personnes, il faut, et c’est essentiel, leur poser des questions. Et quand elles  arrivent à parler, il faut les écouter, les croire, reconnaître les violences  sexuelles subies et les traumas qu’elles présentent, les protéger, être solidaire  et leur apporter protection, soutien et soin. Il est très important de leur donner  des informations et d’expliquer les mécanismes psychologiques et neurobiologiques  psychotraumatiques pour que les victimes comprennent ce qui leur arrive, pour  qu’elles puissent se déculpabiliser et avoir une boîte à outils pour mieux se  comprendre.  

Tous ces symptômes psychotraumatiques, qui traduisent une grande souffrance  chez les victimes de violences sexuelles, sont encore très méconnus  (les professionnels ne sont toujours pas formés pour la grande majorité d’entre eux)  et ils sont le plus souvent interprétés comme provenant de la personne elle-même, de  sa nature, de son sexe, de sa personnalité, de sa mauvaise volonté, de ses  provocations, ou sont étiquetés comme des maladies mentales. La personne est alors  considérée comme étant à l’origine de ses symptômes et de sa souffrance. C’est  avec ces rationalisations que les suicides, les conduites à risque, les explosions de  mémoire traumatique et les états dissociatifs traumatiques seront mis sur le  compte de troubles de la personnalité (border-line), de dépressions, voire même  de psychoses, les violences sexuelles subies n’étant presque jamais évoquées comme  cause principale, et la question : « est-ce que tu as subi ou est-ce que vous avez subi  des violences ? » jamais posée.  

Ces conséquences sont normales et universelles, elles sont liées aux violences, et  non à la personnalité de la victime. Elles peuvent être aggravées par des vulnérabilités  spécifiques à la victime (tout comme une blessure par arme blanche peut être  aggravée par une hémophilie) : âge, handicap, antécédents de violences, etc. Elles ont  beau être bien connues depuis des décennies, prouvées par des études scientifiques  internationales, visibles sur des IRM, elles restent méconnues, et ne sont toujours  pas enseignées en France ; à l’heure actuelle, 2020 les médecins et les autres  professionnels de la santé ne sont toujours pas formés ni en formation initiale – lors  d’une enquête récente auprès des étudiants en médecine, plus de 80 % ont déclaré ne pas avoir reçu de formation sur les violences et 95 % ont demandé une formation pour  mieux prendre en charge les victimes de violences – ni en formation continue, et  l’offre de soins adaptés est très rare.  

Il y a en France une tradition de sous-estimation des violences faites aux  mineurs, de leur gravité et de leur fréquence. Une tradition de banalisation d’une  grande partie de celles-ci à laquelle, nous l’avons vu, s’ajoute une méconnaissance de  la gravité des conséquences des violences sur la santé.  

Il y a également une méconnaissance des conséquences sociales des violences sur  l’apprentissage, sur les capacités cognitives, sur la socialisation, sur les risques de  conduites asociales et de délinquance, sur les risques d’être à nouveau victime de  violences ou d’en être auteur. On constate également une stigmatisation des troubles  de la conduite et des troubles du comportement des enfants et des adolescents,  troubles qui masquent une souffrance non reconnue, ainsi qu’une banalisation de  signes de souffrance mis sur le compte de la crise d’adolescence, de la personnalité  de la victime, de son sexe, ou à l’inverse une dramatisation de symptômes  psychotraumatiques (mémoire traumatique, dissociation traumatique) souvent  étiquetés à tort uniquement comme des troubles névrotiques anxieux ou bien  dépressifs, des troubles de la personnalité (border-line, sensitive, asociale), et  parfois comme des troubles psychotiques (psychose maniaco-dépressive,  schizophrénie, paranoïa, etc.) et traités abusivement comme tels, et non comme des  conséquences traumatiques qu’il faut traiter. De même, les conduites d’évitement et  de contrôle sur la pensée, associées aux troubles dissociatifs chez les enfants et les  adolescents, peuvent être tellement envahissantes et entraîner une telle inhibition du  contact et de la parole qu’elles peuvent être prises pour des déficits intellectuels ou  des troubles d’allure autistique, ce qu’elles ne sont pas bien sûr. Tous ces troubles  sont régressifs dès qu’une prise en charge de qualité permet de traiter la mémoire  traumatique.  

La méconnaissance de tous ces mécanismes psychotraumatiques et l’absence de  soins participent à l’abandon où sont laissées les victimes, à la non-reconnaissance de  ce qu’elles ont subi, et à leur culpabilisation. Les victimes, condamnées à organiser  seules leur protection et leur survie, sont considérées comme responsables de leurs  propres malheurs.  

Des soins essentiels  

Les soins sont essentiels, la mémoire traumatique doit être traitée. Il s’agit  de faire des liens, de comprendre, de sortir de la sidération en démontant le  système agresseur et en remettant le monde à l’endroit, de, petit à petit,  désamorcer la mémoire traumatique, de l’intégrer en mémoire autobiographique  et de décoloniser ainsi la victime des violences et du système agresseur. 

La prise en charge thérapeutique doit être la plus précoce possible. En traitant la  mémoire traumatique, c’est-à-dire en l’intégrant en mémoire autobiographique, elle  permet de réparer les atteintes neurologiques et de rendre inutiles les stratégies de  survie.  

Le but de la prise en charge psychothérapique c’est de ne jamais renoncer à tout  comprendre, à redonner du sens. Tout symptôme, tout cauchemar, tout  comportement, qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est  fondamentalement, toute pensée, réaction, sensation incongrue doit être  disséquée pour la relier à son origine, pour l’éclairer par des liens qui permettent  de la mettre en perspective avec les violences subies. Par exemple une odeur qui  donne un malaise et une envie de vomir se rapporte à une odeur de l’agresseur ; une  douleur qui fait paniquer se rapporte à une douleur ressentie lors de l’agression ; un  bruit qui paraît intolérable et angoissant est un bruit entendu lors des violences  (comme un bruit de pluie s’il pleuvait) ; une heure de la journée peut être  systématiquement angoissante ou peut entraîner une prise d’alcool ; des conduites  boulimiques ; des raptus suicidaires ; des auto-mutilations, s’il s’agit de l’heure de  l’agression ; une sensation d’irritation, de chatouillement ou d’échauffement au  niveau des organes génitaux survenant de façon totalement inadaptée dans certaines  situations, peut se rapporter aux attouchements subis ; des « fantasmes sexuels »  violents, très dérangeants dont on ne veut pas mais qui s’imposent dans notre tête ne  sont que des réminiscences traumatiques des viols ou des agressions sexuelles subis…  

Le travail psychothérapique consiste à faire des liens, en réintroduisant des  représentations mentales pour chaque manifestation de la mémoire traumatique  (perfusion de sens), ce qui va permettre de réparer et de rétablir les connexions  neurologiques qui ont subi des atteintes, et même d’obtenir une neurogenèse.  

Il s’agit de « réparer » l’effraction psychique initiale, la sidération psychique  liée à l’irreprésentabilité des violences.  

L ‘Effraction responsable d’une panne psychique rend le cerveau incapable de  contrôler la réponse émotionnelle, ce qui est à l’origine du stress dépassé, du  survoltage, de la disjonction, puis de l’installation d’une dissociation et d’une  mémoire traumatique. Cela se fait en « revisitant » le vécu des violences, accompagné  pas à pas par un « démineur professionnel » avec une sécurité psychique offerte par  la psychothérapie et si nécessaire par un traitement médicamenteux, pour que ce  vécu puisse petit à petit devenir intégrable, car mieux représentable, mieux  compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement,  sur chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte, ses réactions, le  comportement de l’agresseur. Il s’agit de remettre le monde à l’endroit. Il faut  démonter tout le système agresseur et reconstituer avec l’enfant son histoire en  restaurant sa personnalité et sa dignité, en le débarrassant de tout ce qui les  avait colonisées et aliénées (mises en scènes, mensonges, déni, mémoire  traumatique). Pour que la personne qu’il est fondamentalement puisse à nouveau  s’exprimer librement et vivre tout simplement. Pour que l’enfant terrorisé ne soit enfin plus jamais seul. « Pour abattre le mur du silence et rejoindre l’enfant qui  attend » (Alice Miller, 1985).  

Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l’hippocampe de re fonctionner et de reprendre le contrôle des réactions de l’amygdale cérébrale, et  d’en coder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire  autobiographique consciente et contrôlable. De plus, il a été démontré qu’une prise en  charge spécialisée permettait de récupérer des atteintes neuronales liées au stress  extrême lors du traumatisme, avec une neurogenèse et une amélioration des liaisons  dendritiques visibles sur des IRM (Imagerie par résonance magnétique) (Ehling, T., &  Nijenhuis, E.R.S., Krikke, A. 2003).  

Rapidement, ce travail se fait quasi automatiquement et permet de sécuriser le  terrain psychique, car, lors de l’allumage de la mémoire traumatique, le cortex pourra  désormais contrôler la réponse émotionnelle et apaiser la détresse, sans avoir recours  à une disjonction spontanée ou provoquée par des conduites dissociantes à risque. Il  s’agit pour le patient de devenir expert en « déminage » et de poursuivre le travail  seul ; les conduites dissociantes ne sont plus nécessaires et la mémoire traumatique  se décharge de plus en plus, la sensation de danger permanent s’apaise et, petit à  petit, il devient possible de se décoloniser de la mémoire traumatique et de retrouver  sa cohérence, et d’arrêter de survivre pour vivre enfin.  

Il est donc essentiel de protéger les enfants des violences et d’intervenir le plus  tôt possible pour leur donner des soins spécifiques ; il s’agit de situations d’urgence  pour éviter la mise en place de troubles psychotraumatiques sévères et chroniques,  qui auront de graves conséquences sur leur vie future, leur santé, leurs scolarisation  et socialisation, et sur le risque de perpétuation des violences. Et il est nécessaire de  sensibiliser et de former tous les professionnels de l’enfance, des secteurs  médicosociaux, associatifs et judiciaires sur les conséquences psychotraumatiques  des violences. La prévention des violences passe avant tout par la protection et le soin  des victimes. Parce qu’elles ne seront plus condamnées au silence, ni abandonnées sans  protection et sans soins, ces enfants victimes pourront sortir de cet enfer où les  condamne la mémoire traumatique des violences sexuelles subies. 

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1 réflexion sur “Mémoire traumatique, dissociation, sidération, mais qu’est-ce donc ?”

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